Thaïlande (15) - Le long du Mékong
[23 mars] : col – 〜Ban Ahi (〜100 km)
Pour la première fois, je suis réveillé par le froid, perché sur ma crête, une quarantaine de kilomètres avant Na Haeo. Donc debout à 6h, accompagné par un karaoké nature, du bruit comme s'il y avait des haut-parleurs mystérieux sur chaque colline. Enfin le blabla s'arrête et ils passent de la musique. C'est un peu comme une radio qui émet sans modulation entre 0.0001 et 0.01 MHz pour les quelques maisonnettes du voisinage. Le soleil est comme chaque jour immense, comme la lune quand elle vient de se lever. C'est juste que je n'ai pas l'habitude de voir des levers de soleil à répétition.
Lever de soleil
Quelques mini-bananes et zou, c'est parti en muscle-warming dans l'air frais.
Un Bouddha au faciès plus mou
7h25, le soleil traîne
Avec la légendaire précision thaï, je suis à une altitude de "ล่ง 1115,644 ม." (c'est en mètres)
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Je m'arrête manger des sen lek, ils n'ont pas de riz dans le coin, que des pâtes.
Puis j'ai droit à 5 km de Paris-Dakar gratuit, qui me détruit ma roue arrière et m'étouffe dans un nuage de poussière à chaque fois qu'un pick-up passe. Quand le pavage revient, c'est toujours un sentiment de résurrection.
Paris-Dakar 2008, édition spéciale en Thaïlande
J'arrive enfin à la frontière avec le Laos. C'est à 2 km de Na Haeo mais je n'y vais pas et reste sur la route frontalière, direction Pak Man.
19 kilomètres de fantômes … et de mini-bananes
Dans ces coins, j'entends "farang" au moins 3 fois par personne dont je passe dans le champ de vision, alors qu'ailleurs ça n'était pas aussi flagrant. Les 20 km jusqu'à Pak Man sont au début faisables, puis font place à une énorme montée.
La montée-mobile des locaux
Puis je redescends sur le village par une belle descente, mais avec la roue arrière qui part en vrille.
Belle descente, tant que mes 2 routes restent attachées au vélo
Je me fais une glace au marchand du croisement et il m'indique un réparateur 1 km plus loin, pas sur ma route longeant le Laos, mais 1 km à l'intérieur des terres thaïlandaises. La réparation prend 1 heure, mais le vélo tourne bien après. Apparemment les boulons étaient mal serrés, car il n'a rien fait de spécial. Puis, de retour dans la bonne direction, j'ai juste le temps de me réfugier au marchand du croisement alors qu'il commence à pleuvoir.
Très soudainement, il pleut des trombes d'eau, avec coups de tonnerre et éclairs, sortis de nulle part. Il y a un ruisseau qui s'est formé le long de la route. Ca s'arrête aussi brusquement que ça recommence, et j'enchaîne les glaces et chips en attendant que ça passe.
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Vu la situation peu encourageante, soit je reste à manger des glaces toute la journée, soit je tente le départ, en espérant que le petit carré de ciel bleu, qui comme moi semble se déplacer lentement vers l'est, me protégera du déluge.
Le protection divine dudit petit carré de ciel bleu
J'opte pour la seconde solution. La route est humide, encore chaude, et de la vapeur s'en dégage un peu. La route est vide et la bruine fait du bien. En effet, il n'y a pratiquement pas de villages sur son cours, et pour voyager les Thaï doivent sûrement emprunter une route plus enclavée.
Route Thaï-Laos désertée
Le truc du carré de ciel bleu fonctionne plutôt bien. Je dois juste m'arrêter 10 minutes à faire ma loque de Thaï sur les bambous d'un petit pavillon, où j'en finis avec mes mini-bananes, mais sinon ça avance bien, sans grosses montées.
Des postes frontières de temps en temps
Puis au détour d'un virage, la frontière devient physique : il y a une petite rivière qui s'écoule tranquillement le long de mon vélo
Le Laos, à portée de chaussettes mouillées
Le coté thaï
Dans une zone légèrement plus urbaine, un pont de l'amitié fait son apparition, le Thaï-Lao friendship bridge. Je pense aller de l'autre coté pour manger, mais il est déjà plus de 17 heures et c'est pas possible. Je continue donc sur ma petite route 2195.
Luang Prabang, 363 kilomètres
Sur la 2195, le ban Ahi est indiqué depuis longtemps
Je m'arrête voir un petit village sympa le long de la route, avec hôtels et restaurants, et je finis par y rester. Car dans une sorte de resort, Pai, qui parle anglais, me dit que je peux "planter" ma tente dans les environs, sous les abris. Etre réveillé trempé par la pluie au milieu de la nuit, sans refuge, c'est l'une des choses les plus redoutables du voyage, surtout que je n'ai rien avec moi, même ma veste est restée à Bangkok.
La nuit tombante, au bord de la frontière
Evidemment, le passage en pierres me donne envie de traverser, mais c'est fortement déconseillé par Pai.
Je vais quand même sautiller sur les rochers et mettre un pied au-delà du milieu du fleuve.
Thaïlande vue du "Laos"
S'en suit une tentative de discussion avec les 3 enfants de 12 ans et des graines de tournesol, c'est galère mais en s'y mettant à 4 ça devient un tantinet intéressant.
Pour le repas, je me fais 2 fournées de khao phat, ca faisait longtemps que je tournais aux pâtes et là ça fait du bien d'avoir du dur à mâcher.
Cours de thaï : โค้ก
Ma douche est un moment épique, avec l'eau du petit bac des toilettes en espace confiné éclairé à la lampe frontale. Comme Pai n'est plus là, je vais au wat (temple) local voir la fin de la projection d'un film de Jackie Chan – un film dont l'intrigue est indépendante de la langue - sur une grande toile. Pour un petit village, c'est blindé d'enfants. Et je rentre faire dodo dans ma cabane près du resto.
[24 mars] : 〜Ban Ahi – 〜Pakchom (80 km)
Je dors super bien et me fait lever à 6h par les coqs et des dames qui balayent partout. J'ai droit à un petit café pendant que j'écris. La dame du resto part en pyjama sur son vélo faire ses courses au marché, et elle revient avec des mini pains gras comme j'aime, à tremper dans de la cancoillotte au goût de MilkyWay.
Pêcheur de poissons contrebandiers
Je bricole mon panier, qui commence à se fissurer, avec le poids du sac dedans et les chocs des routes de Paris-Dakar, et c'est parti pour une nouvelle journée, dans l'air de la malédiction du bruit éternel de la roue arrière.
Après quelques kilomètres, c'est fini, un truc a dû lâcher et la roue ne tourne plus avec la chaîne. Je continue en marchant le long de la petite route de l'espoir, pendant 2 km, jusqu'à un minuscule village. Comme un peu partout, je pense qu'il doit bien y avoir un mécano, mais pas ici. Les gens me disent de faire demi-tour. Donc je repars en arrière, sur cette route bien sympa mais déserte … Il faudra 30 minutes pour qu'un pick-up passe et me pick up, et je suis illico de retour au village que j'ai quitté le matin.
Le couple qui me conduit est sympa et m'emmène vers 2 réparateurs, qui disent ne rien pouvoir faire pour moi, jusqu'à ce que le troisième me prenne en charge. Il a les cheveux longs et fait des blagues avec sa femme Lao, mais j'ai pas bien compris si c'est péjoratif d'être appelé un/une Lao où si c'est juste que c'est rigolo pour un Thaï de se trouver une Lao.
Il lui faudra du temps pour venir à bout de mon problème. Les 2 roulements à billes de la roue arrière, ceux que le gars de Pai m'avait fait, sont à changer. L'un perd ses billes et l'autre est complètement fendu en 2 à l'intérieur, nécessitant bien des coups de marteaux pour récupérer la bague extérieure. Il me resserre aussi la roue avant et je suis enfin opérationnel à midi, à quelques centaines de mètres d'où j'ai passé la nuit.
Quelques noodles et c'est parti pour de bon. J'ai environ 6 heures de jour, je mise sur 100 km.
Bouchons
La route est belle, des fois étroite, mais toujours praticable. J'aperçois des gens de l'autre coté de la rivière, sauvage.
Regard en arrière, vers l'ouest. Laos au nord, Thaïlande au sud
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Cette petite route déserte et tout à fait praticable s'éloigne un peu de la rivière, et quand elle s'y rapproche, la même rivière est 10 fois plus large. C'est le retour du Mékong, quitté peu après le triangle d'or. Les berges sont très espacées et des îlots de sables jonchent le milieu du cours d'eau.
Le retour du Mékong
Thai-Danish Milk, si je me souviens bien à cause de l'implantation danoise dans le pays
Une dizaine de kilomètres avant Chiang Khan, la grande ville du coin, toujours à cheval sur la frontière, ma belle petite route bien pavée fait place illogiquement et naturellement à une route défoncée, qui me coûte une crevaison sur la fin.
Je perds une heure à rustiner le bon endroit devant une maison particulière, 2 jeunes en motos proposant leur aide peu avant que je reparte.
La maison protégée contre les cambrioleurs trop grands
La ville de Chiang Khan n'a aucune liaison avec le Laos en face, dont la berge héberge un village beaucoup plus petit. Cent mètres de Mékong ne les rapprochent pas. Je parcours l'agglomération jusqu'à la fin où je m'arrête, attiré par un stand de manger qui me changerait de riz ou pâtes. Et c'est excellent, je mange des nems, salade et menthe, khao nio, mini-bananes frites et pommes noisettes, c'est bien gras mais c'est comme un repas de Noël sur mon parcours.
Au même endroit je me fais préparer un bento avec riz et poulet, et je repars finir mon objectif de 100 km.
Sauf que même si je peux le faire dans les temps, je suis de nouveau à plat, sans l'envie de rechecker ma roue et rester bloqué dans un coin pas cool pour camper, alors je m'évade en regonflant tous les 3 km. Je suis arrêté dans un petit village où je reste un peu plus longtemps pour m'acheter mon petit-déj. Le vendeur me vend des petits pains secs et veut inclure un mariage avec une de ses 2 filles dans le lot. Elles ont 15 ans à tout casser, mais au vu de la réaction de la 2ème – appelée de loin par le père, elle s'enfuit quand elle nous aperçoit les 2 en train de discuter – ça doit pas être la première fois que le père veut les caser avec un occidental blanc comme un chèque en. Je laisse mon adresse de Kyoto au cas où il m'envoie une carte postale et je m'enfuis à mon tour.
Ne pouvant rejoindre Pakchom, la prochaine grande ville, je me cherche un petit abri avec vue sur Mékong avant la nuit. C'est pas facile de repérer, depuis la route, un cabanon près du fleuve et loin de la route. Finalement je jette mon dévolu sur un chemin, et tombe sur un cabanon bien équipé. Mais il y a aussi un humain, qui quand je lui demande pour camper dans son champ me répond qu'à cause de serpents je ferais mieux de dormir à l'étage. Hek est serviable et sait dire "May i help you?". Plus tard, 2 de ses potes le rejoindront et ils iront travailler de nuit, à la lampe, dans un coin du grand champ qui sépare ma nouvelle maison du Mékong, louche …. Je traverse ce champ pour aller prendre un bain, mais l'eau est bien sale, et je suis déjà encerclé par une armée de moustiques. Repoussé par l'idée d'être tout nu dans cette foule et à avoir à combattre un front uniforme d'ennemis quasi-invisibles sur 4π stéradians, je rentre crasseux me remplir de mon trop plein de dîner.
Bien que j'aie déjà consommé mon quota annuel de mini-bananes, une fois frites ça redevient attractif
Je dors en ayant mal au dos, en me retournant sans cesse. Et y'a comme un animal ou des gens qui rôdent autour de la baraque en faisant du bruit juste à coté …
[25 mars] : 〜Pakchom – Than Tong waterfall (90 km)
Debout à 6h pour manger mes pains gras et réparer le vélo.
Ma cabane au fond du chemin
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Le trou semble être la faute au premier patch du 1er jour qui se décolle. En remontant, je pince le caoutchouc et hop, 2 nouveaux trous. Comme j'en repatche un à coté, je dois redémonter le tout une 3ème fois, et là c'est bon.
Mais le temps que je sorte du chemin sur la grande route, me revoilà à plat. Comme il est déjà 9h et que j'en ai marre, je pars crevé en regonflant de temps en temps. Ca tient 10 km, pendant lesquels je ne traverse aucun village sauveur, et le repompage devient inefficace alors qu'il reste 10 km jusqu'à Pakchom. Je pousse donc mon vélo-gruyère sur le plat, c'est super long mais au moins je longe le Mékong, et c'est beau.
Mékong et Laos
Occupation très Thaï
Panorama (cliquer sur l'image)
A la ville de Pakchom, je fais 4 bike-shops, dont 2 qui vendent aussi des vélos, mais ils m'envoient tous au suivant sans même jeter un coup d'œil à mon vélo. Je crains un coup comme à Soppong où j'avais quitté la ville bredouille. Mais là, le dernier auto-bike shop à la sortie de la ville me dit ok. Me voilà donc avec un 26'' neuf pour me poser avec un gros poulet rôti et du riz avec les doigts. Il est 12h12 quand je repars et pédale enfin.
Dans les villages je reçois toujours autant de "hello", plein de "farang", et quelques "I love you, you love I mai?". Les mamans font faire coucou à leurs enfants et leur apprennent "bye bye". Mais si je m'approche ils deviennent bien plus timides.
Je tiens à nouveau mes 20 km/h le long du Mékong, jusqu'à ce que j'aperçoive "Than Thip waterfall" sur le bord de la route, en anglais, donc j'en profite pour aller me laver. C'est à 1 km de la route principale, puis la notation anglaise disparaît alors que je m'approche. Je comprends que c'est ensuite à 20 minutes de marche sur un sentier qui coupe des pousses de bananes. Le sentier s'efface peu à peu, et je trouve avec bien du mal une cascade miteuse, mais qui conviendra pour une douche. Après tout, y'a rien d'autre dans le coin, ni rivière ni panneaux ni bruit sourd.
Banana alley
A mon retour sur la route principale, je me fais un truc frais à base de fruits et de glace, puis je repars vers l'est. Sur le bitume, c'est plein de petits lézards, le ventre décollé du sol, avec une très longue queue, qui se dorent au soleil, jusqu'à ce qu'un véhicule arrive pour s'envoler vers les bords.
On the road
J'arrive à peine à Sangkhom que j'en suis déjà sorti. Il y avait bien un marché là ou je suis passé, mais aucun panneau indiquant la ville que j'attendais pour faire mes emplettes pour le dîner. Je m'étais juste pris en passant une petite pastèque à 15 baht. Les 10 kilomètres suivants sont tout à fait déserts de villages et je commence à prendre peur de n'avoir qu'une pastèque à me mettre sous la dent.
La route, qui longe de très près la rive du Mékong, a un relief plutôt rude, sans espaces pour des habitations
Puis, dans un virage, une échoppe apparaît et je m'y pose pour une soupe visqueuse de pâtes. Le temps de manger une glace, et il fait nuit. Je pars juste à coté jeter un œil à cette Than Thong waterfall, indiquée juste au bord de la route, en aval. On y voit rien, je marche jusqu'à une petite cascade et fais un repérage des environs, puis je reviens à l'entrée, près de la route, me faire mon post-repas tranquillement assis au bureau du garde-barrière.
Il inclut une pastèque, des gâteaux à l'anko (pâte de haricots rouges), les mêmes qu'au Japon, et un mystérieux truc enroulé dans des feuilles de bambou. Je déroule une trentaine de feuilles en bâtonnet, pour le voir rétrécir jusqu'à plus rien. Intrigué, je commence à goûter les feuilles, vu que c'est tout ce que j'avais sous les yeux. En fait, caché dedans il y avait un petit saucisson un peu poivré. Pendant que je mange, j'ai au loin le beau spectacle d'un poids-lourd coincé dans la cuvette de la cascade qui en sortira après plusieurs tentatives.
Pastèque, pâtisseries et saucisson
La petite rivière passe par un plateau dur dans laquelle le cours a sculpté des bassins et plusieurs embranchements. Je me trouve une parfaite petite baignoire masseuse avec vue sur le ciel rempli d'étoiles, et ça me donne envie de dormir au milieu du ruisseau de cette Than Thong waterfall, sur un rocher émergé, entouré par les clapotis. C'est un peu dur quand même, mais miracle, aucun moustique ne viendra me chatouiller. A ce moment là je ne pensais pas du tout à toutes les espèces animales qui m'entouraient, ni aux araignées géantes mangeuses d'hommes, ni aux rats disparus depuis 11 millions d'années ...
L'endroit, éclairé à la frontale (voir le post suivant pour la photo de jour)
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